Discours prononcé à Venaco le 21 octobre 2017 par George MURATET

pour Jean-Baptiste GIOGETTI

 27 juin 1944

 

Que le jour soit un mardi importe peu tant la date est une pierre rouge sang dans le jardin de deux communes du nord-est toulousain.     Le Bois de la Reulle est posé sur celle de Gragnague. Il appartient à une famille de Castelmaurou. Il est à jamais l’un des visages inoubliables incrustés dans les mémoires concernant la barbarie nazie.

 

27 juin 1944. Condamnés à mort sans aucune forme de procès civil ou militaire par la Gestapo toulousaine, seize résistants sont amenés dans le site boisé de chênes choqués et honteux.

 

L’un d’entre eux, Jaïme Soldévila du réseau d’évasions et de renseignements « Françoise » réussira à s’évader alors que chacun creusait sa propre tombe.

 

Des camions bâchés qui les avaient amenés, précédés par la sinistre Traction noire de la police politique de l’occupant, étaient également descendue une conséquente escorte de soldats SS. Commandée par le sous-lieutenant Anton Philipp, elle appartenait au II° Bataillon de réserve de l’horrible division Das Reich.

 

L’officier ordonnera sans état d’âme le feu au peloton d’exécution constitué des hommes les plus aguerris.

 

L’assassinat programmé pour être réalisé en catimini n’échappa tout de même pas à certains témoins visuels ou auditifs tout à leurs taches agricoles dans les champs environnants.

 

Cette particulière réalité sera déterminante quand  la libération de Toulouse et de la Haute-Garonne  sonnera enfin, quelques semaines plus tard. De la terre qu’ils avaient eux-mêmes creusée, quinze corps furent exhumés par des prisonniers de la Wehrmacht surveillés de près par les populations interloquées et horrifiées par ce qu’elles espéraient n’être qu’une rumeur.

 

Rapidement, dix corps seront identifiés et récupérés par leurs proches. Cinq ne connurent pas cette ultime marque d’humanité. Conservés plusieurs semaines dans les locaux des Pompes Funèbres Municipales de la ville rose, ils seront confiés à la terre toulousaine.

 

Jusqu’en 1990, date à laquelle la municipalité de Castelmaurou, sous l’égide de son maire, monsieur Lucien Paul Pouget, les accueillera dans un caveau dédié du cimetière local.

 

Pourtant, comme l’a écrit madame Rose de Hepcée dans sa « Chronologie d’un retour – 2012 », même s’ils reposaient en terre de France, que ce soit en bord de Garonne ou entre les murs d’un caveau construit en leur honneur, même s’ils furent toujours entourés de mains amies, ils étaient condamnés pour l’éternité à la « damnatio memoriae », la condamnation post-mortem du corps, de l’identité de l’être, son effacement total, physique et mémoriel. Car le nom est le premier cadeau que l’on donne à un enfant par lequel on reconnait son existence et son individualité. Il lui confère son identité. Nommer c’est dire « tu es », « tu es toi », « tu existes ». En assassinant ces hommes sans possibilité d’identification, les bourreaux nazis leur imposaient la double peine : non seulement ils leur ôtaient la vie, mais pour cacher leurs crimes, ils effaçaient toute preuve de l’existence de leurs victimes. Leurs familles ne savaient pas où ils étaient. Ceux qui le savaient ne savaient qui ils étaient.

 

Si ce n’est que cette décision se révèlera comme une possible porte ouverte pour des capacités humaines capables de rendre une justice post-mortem à des destins condamnés à l’oubli peint aux couleurs de l’éternité.

 

Le socle de cette alchimie pleine de vie sera assurément un groupe de personnes de bonne volonté qui prendra le titre de Groupe de Recherches des Fusillés du Bois de la Reulle Gragnague/Castelmaurou.

 

Au-delà des investigations qu’il lancera, son premier objectif sera de fédérer les compétences nécessaires :

 

des élus politiques du terroir jusqu’à obtenir le droit d’ouvrir le caveau condamné depuis plus de vingt ans.

 

Scientifiques avec l’aide inestimable du laboratoire de l’Institut Médicolégal de la Faculté de Médecine de Strasbourg placé sous la responsabilité du professeur Bertrand Ludes et de madame Christine Keyser. Ces derniers n’hésiteront pas à dépêcher sur place leur dame de terrain, docteur en anthropologie, madame Tania Delabarde chargée d’exhumer les ossements pour les nettoyer, les classer et effectuer des prélèvements afin que le laboratoire recherche des ADN exploitables.

 

Juridiques avec la mise en confiance de monsieur Jean Michel Peltier, procureur de la République-adjoint près le Tribunal de Grande Instance de Toulouse qui rédigera les autorisations et réquisitions nécessaires.

 

Enfin le Groupe de Recherches parcourant sans cesse les archives civiles et militaires, nationales et hors des frontières afin de trouver ces petits bouts de laine qui dépassent d’une pelote jusqu’à la dérouler le plus longtemps possible.

 

Son premier engagement fut de faire connaitre les dix patriotes identifiés dès septembre 1944 qui, hors de leurs familles, étaient devenus de simples noms sur une plaque de marbre sur une stèle

 

Puis, ce fut le pari fou. Cette belle utopie à laquelle peu de magnifiques âmes croyaient : Rendre son identité à chacun des inconnus du caveau du cimetière !

 

C’est à partir de là que l’alchimie humaine utilisa à plein ses compétences individuelles: Les municipalités pour que glisse la dalle, l’Institut Médicolégal oeuvrant sans cesse jusqu’à la mise à jour des cinq ADN et les comparaisons en laboratoire, le Tribunal de Grande Instance nous guidant dans la rédaction des différentes requêtes en comparaisons d’ADN avec ceux des familles contemporaines retrouvées, le Groupe orchestrant le tout en apprenant à mesure que l’ensemble progressait.

 

Jusqu’à annoncer, non sans une fierté contenue dans l’humilité :

 

Charles de Hepcée, Major aviateur de l’Armée de l’Air Royale de Belgique, résistant dès sa démobilisation et l’occupation de son pays.

 

Marcel Joyeux, membre du réseau Morhange et adjoint de Serge Ravanel chef national des Groupes francs des Mouvements Unis de la Résistance.

 

Pierre Cartelet, Ardennais Cœur fidèle venu dans les Pyrénées-Orientales lutter dans les rangs des réseaux Bourgogne et Alliance.

 

Puis…..Jean-Baptiste Giorgetti…..

 

Fils de gendarme, inscrit très tôt aux « Enfants de Troupe », il suivra naturellement les écoles militaires préparatoires de Saint Hyppolite du Fort dans le Gard, de Tulle en Corrèze et d’Autun en Saône et Loire.

 

A 18 ans, il s’engagea pour cinq ans dans les Chasseurs Alpins du 75°Bataillon de Forteresse à Sospel dans le nord des Alpes Maritimes.

 

Après la déclaration de guerre de la France contre l’Allemagne, le sergent Giorgetti se retrouve en Alsace, puis en Norvège qu’il rejoint au sein du 53° Bataillon embarqué à Brest avec pour objectif la prise du port de Namsos alors que l’Allemagne Hitlérienne s’intéresse à celui de Narvik.

 

Après un repli vers l’Ecosse et son arrivée au Havre, son unité est engagée dans la Somme et le Pays de Caux.

 

Jean-Baptiste est capturé. Interné au camp de Choisel près de Chateaubriand dans la Loire Atlantique, il est transféré en Allemagne au stalag près de Villingen dans le Bade-Wurtemberg. Il s’en évade et par la Suisse rejoint l’Armée d’Armistice. Il demande alors sa démobilisation.

 

Retiré dans son village natal, Vénaco, en Corse, il participe à la Résistance locale avant de rejoindre l’Angleterre avec un passage par Alger. Sélectionné par le BCRA (Bureau Central de Renseignement et d’Action) les services secrets du Général De Gaulle, il assimilera totalement les enseignements d’un stage de formation d’instructeur de sabotage.

 

C’est au cours de cette période, aussi sombre qu’un smog automnal, qu’il trouvera l’amour épousant le visage de Maryse, une jeune étudiante française engagée dans les Forces Française Libre qui poursuivait ses études dans la capitale anglaise.

 

Parachuté en France dans le Cantal sur la drop-zone de Chénier, celui qui dorénavant avait embrassé le pseudonyme de Jean Maigret, rejoindra la Résistance toulousaine au sein du Groupe Vira (Vi comme Viadieu, Ra comme Raymond le chef du Groupe).

 

Trahi, il sera arrêté avec violence le 1° juin 1944 dans le Café de la Poste, rue de Rémusat, à deux pas de la Place du Capitole.

 

Conduit à l’hôpital Purpan dans un premier temps alors que ses sept compagnons seront déportés, il sera incarcéré à la sinistre prison Saint Michel afin de subir des interrogatoires musclés au siège de la Gestapo rue Maignac, depuis aout 1944 baptisée  « Rue des Martyrs de la Libération ».

 

Tout un symbole !

 

Considéré depuis les années 1950 « disparu », puis déclaré « Mort pour la France », nous savons depuis peu qu’il repose à Castelmaurou/Gragnague, son caveau d’accueil face à une lourde porte d’accès.

 

Un peu grinçante, cette dernière dont les barreaux verticaux n’empêchent nullement le passage du sourire de Maryse toujours aussi éclatant depuis le printemps londonien de 1944, aime à entendre crisser les graviers sous les pas de Jean Marie, ce fils d’un amour que la barbarie n’aura jamais pu gommer….